Complexe à appréhender, le marché de l’emploi des cadres et dirigeants est également très compétitif dès lors que l’on vise les meilleurs jobs. Dans ce contexte, les chasseurs de têtes sont devenus des acteurs incontournables qui font bien plus que de servir d’intermédiaires dans le grand « mercato des talents ». Pour qui sait les « activer » efficacement, ils peuvent en effet devenir de véritables catalyseurs de carrière et apporter une valeur ajoutée considérable et ce, que l’on soit en recherche active ou simplement dans une volonté de faire avancer sa carrière. Mais quant on « se rate », cela peut aussi être fatal..
Pourquoi les chasseurs de têtes sont-ils stratégiques dans l’écosystème professionnel ?
Pour un candidat, la valeur des chasseurs de tête de bon niveau réside d’abord dans leur accès privilégié à des informations et opportunités confidentielles qui ne seront jamais publiés sur LinkedIn ou ailleurs. À cet égard, il faut d’ailleurs savoir que plus le poste à pourvoir est stratégique et/ou sensible, plus la part des recrutements confidentiels confiée aux chasseurs de tête est élevée (jusqu’à 100% pour certains rôles de Direction, Direction Générale ou d’Administrateur). C’est ce que l’on appelle (assez improprement d’ailleurs) le « marché caché » de l’emploi, par opposition au « marché ouvert » classique accessible via les sites emplois, les pages recrutement des sites corporate, ou encore les pages « offres » des cabinets de recrutement.
Les chasseurs de tête disposent aussi généralement d’une compréhension approfondie des tendances et des besoins du marché, acquise au fil des années passées à échanger avec les décideurs. Cette expertise leur permet d’apporter des insights précieux sur l’évolution des métiers dans différents secteurs d’activité et donc, du positionnement professionnel optimal d’un cadre dirigeant.
Enfin, au-delà de leur rôle dans le recrutement des talents, les chasseurs de têtes excellent souvent dans l’art de comprendre, voire d’anticiper les besoins humains réels des entreprises (parfois mieux que les dirigeants eux-mêmes) et d’y faire correspondre les profils les plus pertinents. Les meilleurs recruteurs sont ainsi capables d’identifier des candidats parfaitement alignés avec les besoins et la culture de leur client, réussissant par la même un « matching » qui est parfois inattendu, mais s’avère le plus souvent profitable aux deux parties.
Comprendre la réalité du monde des chasseurs de têtes
Une relation triangulaire unique
La relation entre chasseurs de têtes, entreprises clientes et candidats est assez unique dans le monde des services professionnels. Contrairement à d’autres acteurs du conseil qui interagissent quasi-exclusivement avec leurs clients, les chasseurs de têtes évoluent dans une dynamique triangulaire assez complexe.
Cette particularité façonne profondément la nature de leur travail et leur approche relationnelle. Pour qu’une mission réussisse, le chasseur de têtes doit en effet réunir deux parties consentantes et intelligentes qui prendront une décision éclairée de collaboration dans leur intérêt mutuel. Sans cette capacité à créer de la confiance des deux côtés, aucune transaction ne peut aboutir et le chasseur de têtes ne peut pas exercer son métier durablement. C’est pourquoi les meilleurs professionnels excellent dans l’art de naviguer entre les intérêts de leurs clients tout en construisant des relations authentiques et durables avec les candidats.
Cependant, il ne faut surtout pas se tromper, les chasseurs de tête n’ont, in fine, qu’un seul client ; l’entreprise qui les rémunère pour trouver le candidat idoine. Si ils se doivent impérativement de créer et maintenir des relations de confiance avec les candidats pour réussir leur mission, ce n’est donc pas la finalité de leur activité. C’est un moyen d’atteindre leur objectif.
Or, encore de nos jours, beaucoup de cadres dirigeants en transition professionnelle ou en recherche active n’ont pas totalement intégré cette réalité dans leur approche des chasseurs de tête et peuvent donc très largement rater leur networking avec eux en se comportant en « clients ». Pourtant, sans ambiguïté aucune, et aussi difficile que ce soit à entendre ou à accepter, le chasseur de têtes n’est pas là pour leur trouver un emploi. Sa mission première est de résoudre le problème de son client en identifiant le meilleur talent possible. S’il peut percevoir un candidat comme la solution potentielle à ce problème, il mettra alors tout en œuvre pour créer les conditions d’une rencontre réussie. Mais si ce n’est pas le cas, en tant que candidat, il est important de savoir s’adapter.
La compréhension de cette réalité devrait guider l’approche de tous les cadres et dirigeants : plutôt que de solliciter de l’attention, du temps ou même un emploi, se positionner comme une solution potentielle aux problématiques que le chasseur de têtes cherche à résoudre pour ses clients est un « moove » incontestablement gagnant.
La différence entre recrutement et « executive search »
Pour un cadre ou un dirigeant en recherche, il est important de comprendre la différence entre le recrutement traditionnel et l’executive search car ce sont deux activités régies par des logiques et des méthodes bien souvent distinctes, voire opposées. Cette différence va bien au-delà de la simple question du niveau et de la rémunération des postes concernés, même si c’est souvent le critère le plus visible vu de l’extérieur.
Le recrutement traditionnel fonctionne principalement sur un modèle de volume et de rapidité. Les consultants de ces cabinets de recrutement classiques gèrent généralement de nombreux postes simultanément, pour des positions dont la rémunération se situe généralement entre 40 000 et 80 000 euros bruts annuels. Leur approche consiste souvent à diffuser largement les offres d’emploi et à filtrer les candidatures entrantes. Le processus est ici relativement standardisé : réception de CV, présélection téléphonique, et présentation d’une série de candidats à l’entreprise qui fait ensuite son choix. Dans ce modèle, c’est souvent le client qui effectue l’essentiel du travail d’évaluation approfondie des candidats et de leur potentiel et les cabinet ne sont pas toujours seuls à s’occuper de la recherche. Dans ce modèle de non exclusivité, la recherche de la vitesse l’emporte donc tout naturellement sur la recherche du casting parfait.
L’executive search, en revanche, opère selon une logique beaucoup plus artisanale et « sur-mesure ». Les chasseurs de têtes travaillent sur un nombre limité de missions, généralement entre cinq et sept simultanément, pour des postes dont la rémunération dépasse le plus souvent les 100 000 euros annuels. Mais la différence la plus significative réside dans la méthodologie employée. Les missions d’executive search sont exclusives, créant ainsi une relation de confiance, mais aussi de responsabilité unique. Celà se traduit par un processus beaucoup plus approfondi et personnalisé..et souvent plus long aussi. Au lieu de simplement transmettre des CV, les chasseurs de têtes produisent des rapports détaillés sur chaque candidat, analysant non seulement leurs compétences techniques, mais aussi leur style de leadership, leur impact dans leurs rôles précédents, leur capacité à s’intégrer dans la culture de l’entreprise, et leur potentiel d’évolution. Cette évaluation à 360 degrés implique un travail de due diligence : vérification approfondie des références, analyse des réalisations concrètes, évaluation de la réputation dans le secteur. Le processus de recherche lui-même est également très différent. Là où le recrutement traditionnel s’appuie principalement sur les candidatures spontanées, les réponses aux annonces et l’approche automatisée via Linkedin, l’executive search implique une démarche proactive d’identification et d’approche des meilleurs talents du marché. Les chasseurs de têtes passent souvent un temps considérable à cartographier les talents, à entretenir des réseaux d’informateurs et de prescripteurs, et à approcher discrètement des candidats qui ne sont pas nécessairement en recherche active.
Pour un cadre ou un dirigeant, comprendre ces différences est essentiel pour adapter sa stratégie. L’approche qui fonctionnera bien avec un consultant en recrutement traditionnel (contact direct, partage de sa recherche, envoi de CV, réponse à des annonces..) pourra de ce fait s’avérer contre-productive avec les chasseurs de têtes recherchant des relations à un niveau plus stratégique, basées sur une compréhension mutuelle approfondie du marché et une vision à long terme de la relation. Ils valorisent ainsi fortement les candidats qui comprennent cette distinction et qui savent se positionner en conséquence, comme des partenaires potentiels, des informateurs ou encore des « relais » plutôt que comme de simples demandeurs d’emploi.
Les bonnes pratiques pour mieux collaborer avec les chasseurs de têtes
Cibler au maximum
Lorsqu’on est en transition professionnelle ou en recherche active, il est tentant de vouloir multiplier les contacts avec les chasseurs de tête et d’en approcher le plus possible. Cette stratégie des grands nombres, bien qu’intuitivement correcte, s’avère bien souvent inefficace, voire carrément contre-productive. En effet, il vaut mieux construire des relations solides avec quatre ou cinq chasseurs de têtes parfaitement alignés avec son profil et ses objectifs et qui seront motivés par la construction d’une relation réciproquement bénéfique que d’avoir des contacts superficiels avec des dizaines de cabinets pour lesquels vous n’êtes pas un « coeur de cible » et qui ne pourront (ou ne voudront) pas vraiment vous apporter de valeur.
Donner avant de chercher à recevoir
Vous l’avez compris, la clé d’une relation durable et fructueuse avec les chasseurs de têtes réside dans la capacité du cadre ou du dirigeant à se positionner non pas comme un simple candidat en demande, mais comme une ressource précieuse dans leur écosystème professionnel. Cette notion d’apport de valeur est fondamentale car elle transforme une relation traditionnellement transactionnelle en un partenariat mutuellement bénéfique. Elle active aussi subtilement le biais de réciprocité chez le chasseur de tête qui devient alors inconsciemment « redevable » et cherchera, dès qu’il en aura l’occasion, à « renvoyer l’ascenseur ».
Mais quelle valeur un cadre dirigeant peut-il apporter à un chasseur de tête au delà de son propre profil ?
D’abord, les chasseurs de têtes sont constamment à la recherche d’informations pertinentes sur leur secteur d’activité. Leurs résultats dépendent en effet largement de leur compréhension fine des dynamiques du marché, des mouvements de talents et des tendances émergentes. C’est ici qu’un cadre dirigeant en recherche peut jouer un rôle crucial. En tant qu’expert de son secteur d’activité, il dispose d’informations précieuses qui peuvent enrichir la compréhension du marché du chasseur de tête et sa capacité à anticiper.
Cela peut prendre diverses formes :
- Des insights sur les réorganisations en cours dans son industrie, des informations sur l’évolution des besoins en compétences, ou encore une analyse des tendance émergentes dans le secteur.
- L’une des contributions les plus appréciées par les chasseurs de têtes est la recommandation de talents. Lorsqu’un chasseur de têtes présente à un candidat une opportunité qui ne correspond pas exactement à son profil ou à ses aspirations, il serait dommage de se contenter de décliner poliment. C’est une occasion de sortir du lot en suggérant d’autres professionnels de talent qui pourraient être plus adaptés. Cette démarche démontre professionnalisme et compréhension du métier de chasseur de têtes, mais, plus important encore, elle positionne le cadre dirigeant comme un « source stratégique » ou un « connecteur », ce qui est extrêmement valorisé dans le domaine de l’executive search.
L’apport de valeur se manifeste aussi dans la manière dont le cadre dirigeant gère les interactions. Il doit idéalement se montrer réactif, constructif, voire force de proposition lorsqu’il est sollicité. Son apport de valeur doit donc être constant (et pas seulement lorsqu’il cherche un nouveau job) mais aussi bien calibré. Il ne s’agit en effet pas d’inonder le chasseur de têtes d’informations ou de le solliciter en permanence, mais bien d’établir une relation d’échange professionnel équilibrée et pertinente.
Cette approche basée sur l’apport de valeur produit souvent un effet démultiplicateur : plus le cadre dirigeant est perçu comme une source fiable et un partenaire de confiance, plus les chasseurs de têtes seront enclins à partager avec lui des informations stratégiques et des opportunités de premier plan. C’est un cercle vertueux qui peut significativement et positivement impacter une progression de carrière sur le long terme.
Savoir se présenter de manière concise et impactante
Les bons chasseurs de têtes sont des professionnels extrêmement sollicités qui gèrent simultanément plusieurs missions complexes et ont de multiples interactions chaque jour. La capacité à se présenter et à faire valoir sa valeur ajoutée de manière concise mais percutante est donc cruciale. L’objectif n’est pas de raconter toute son histoire professionnelle, mais de donner suffisamment d’éléments pertinents pour susciter l’intérêt et encourager un dialogue plus approfondi. ll est donc nécessaire de développer un pitch oral et écrit efficace, voire plusieurs variantes en fonction des interlocuteurs et du temps dont on dispose, car, comme le dit l’adage : « ‘on a qu’une occasion de faire une première bonne (voire inoubliable) impression« .
Les erreurs fatales à éviter
Certaines erreurs peuvent significativement compromettre ses chances de développer des relations fructueuses avec les chasseurs de têtes, voire place le cadre dirigeant sur « liste noire ». Ces erreurs, bien que souvent commises avec les meilleures intentions, peuvent donc avoir des conséquences durables sur sa réputation et ses opportunités professionnelles.
Le syndrome de l’urgence ou de la panique
L’une des erreurs les plus fréquentes et les plus préjudiciables consiste à attendre d’être en recherche active d’emploi pour initier des contacts avec les chasseurs de têtes ou répondre (enfin) à leurs sollicitations. Bien que compréhensible (quand on on est en poste, on n’a pas le temps), cela révèle une méconnaissance fondamentale de la dynamique qui est à l’œuvre dans une relation réussie et équilibrée avec des chasseurs de têtes. Ces derniers ne sont pas des agences pour l’emploi, ce sont des supports stratégiques qui peuvent aider à construire une carrière sur le temps long.
De surcroit, lorsqu’un cadre dirigeant contacte un chasseur de têtes uniquement parce qu’il est en recherche d’emploi, non seulement se positionne t’il d’emblée dans une situation fragile de demandeur, mais il donne aussi et surtout l’impression de ne pas avoir su anticiper et gérer sa carrière de manière stratégique, ce qui peut naturellement interroger sur sa capacité à gérer d’autres sujets avec anticipation et proactivité.
L’approche industrielle
Une autre erreur majeure réside dans l’envoi massif d’emails génériques (non personnalisés) à de nombreux cabinets de chasse. Cette pratique, souvent qualifiée d' »approche industrielle », est souvent mal perçue et le plus souvent ignorée. À l’inverse, une approche personnalisée, démontrant une vraie compréhension du positionnement du cabinet et/ou du consultant, sera toujours plus appréciée et donnera une meilleure chance de déclencher une interaction.
Le manque de transparence
La transparence est une valeur cardinale dans l’univers de l’executive search. Les chasseurs de têtes expérimentés ont développé au fil des années un sixième sens pour détecter les incohérences et les tentatives d’embellissement de la réalité. Qu’il s’agisse d’exagérer ses responsabilités, de masquer certains aspects de son parcours ou d’être flou sur les conditions de son dernier départ, le manque de transparence est toujours sanctionné. De la même manière, une posture visant à ne pas partager dès le départ ses (très naturelles) contraintes ou prétentions pour les révéler sur le tard peut faire perdre un temps précieux à toutes les parties prenantes et, in fine, sérieusement entacher son image et sa crédibilité professionnelle.
La sur-sollicitation
L’équilibre est crucial dans la relation avec les chasseurs de têtes. Certains candidats pressés, dans leur désir de rester « top of mind », tombent dans le piège de la sur-sollicitation. Des emails trop fréquents, des demandes régulières de mise à jour ou des relances maladroitement insistantes peuvent rapidement devenir contre-productifs et instiller le doute dans l’esprit du chasseur de tête qui, de son côté, doit bien entendu s’astreindre à donner de la visibilité à son candidat.
Le ghosting
À l’opposé de la sur-sollicitation, l’absence totale de suivi est également problématique. Certains candidats, après un premier contact prometteur, disparaissent complètement des radars, ne répondant même pas aux sollicitations lorsqu’une opportunité se présente. Cette inconstance dans la relation est immédiatement interprétée comme un manque de professionnalisme et de fiabilité, ce qui est rédhibitoire et fatal, y compris dans le temps long (puisque les chasseurs de tête gardent des notes sur toutes leurs interactions avec des candidats).
Le manque de préparation
Engager une interaction avec un chasseur de têtes sans s’être correctement préparé est une erreur majeure. Certains candidats, particulièrement ceux occupant des postes seniors, peuvent avoir tendance à sous-estimer l’importance de ces rencontres et à les improviser. Or, au delà du seul pitch, un manque de préparation évident (méconnaissance du cabinet, incapacité à articuler clairement ses objectifs de carrière, ou absence de questions pertinentes ) peut définitivement compromettre une relation potentielle.
L’ego surdimensionné du dirigeant
Enfin, une erreur qui n’est généralement pas formulée mais est bien réelle consiste à aborder la relation avec un ego surdimensionné. Certains cadres dirigeants, forts de leur expérience et de leur position, peuvent en effet adopter une attitude condescendante ou excessivement exigeante. Or, la majorité des meilleurs chasseurs de têtes recherchent des partenaires de long terme qui comprennent la valeur de l’équilibre relationnel, de la réciprocité et de l’humilité propre aux meilleurs leaders.
La bonne nouvelle est que toutes ces erreurs peuvent être évitées avec une compréhension appropriée du fonctionnement du secteur et une approche professionnelle et réfléchie. La clé réside dans la construction progressive de relations authentiques, basées sur le respect mutuel et la compréhension des contraintes et des attentes de chacun. Dans l’univers du recrutement des cadres et des dirigeants, la patience, la constance et le professionnalisme sont toujours récompensés sur le long terme.