Laetitia, DRH d’une entreprise en plein boom, s’apprête à rencontrer son dixième candidat pour un poste stratégique. Après quatre mois de recherches et des heures passés en entretien, elle commence à douter. « Pourquoi est-ce si difficile de trouver la bonne personne ? » se demande-t-elle en lisant un nouveau CV qui semble, une fois encore, prometteur.
Si cette situation vous parle, vous n’êtes pas un cas isolé. Aujourd’hui encore plus qu’hier, dénicher et sélectionner les meilleurs talents est devenu un véritable défi. Et un recrutement manqué n’est pas seulement frustrant, il est coûteux.. sans compter l’impact sur le moral des équipes ou la perte de temps et d’énergie.
Mais il existe des solutions. Au travers de nos années d’expérience en recrutement exécutif, nous avons sélectionné et amélioré certaines méthodes et techniques de conduite d’entretien qui font vraiment la différence et permettent de voir, au-delà du CV parfaitement formaté et du discours bien rodé des candidats, qui ils sont véritablement et ce qu’ils peuvent apporter à une organisation.
Comprendre les différents formats d’entretien, leurs indications, avantages et inconvénients
L’entretien structuré – L’incontournable
La puissance de ce format d’entretien qui consiste simplement à poser les mêmes questions, dans le même ordre, à tous les candidats est assez étonnante. Simple en apparence, ultra-efficace dans les faits. Pourquoi l’entretien structuré fonctionne-t-il si bien ? Parce qu’il transforme votre processus de sélection en une démarche homogène et « objectivante ». Fini les « Je le sens bien » ou « Il y a quelque chose qui me dérange chez elle ». Place à une évaluation basée sur un déroulé et des critères identiques pour tous.
La clé pour que cela fonctionne ? Une préparation minutieuse. Commencez (idéalement au travers d’une scorecard) par identifier les compétences et expériences véritablement essentielles pour le poste. Pour chacune, formulez 2 à 3 questions précises qui permettront d’évaluer si le candidat possède cette compétence et comment il l’a déjà exprimé.
Créez ensuite une grille d’évaluation simple – une échelle de 1 à 5 pour chaque compétence suffit généralement. Et voilà, vous avez transformé un processus subjectif en une méthode structurée et reproductible.
La mise en situation ou l’étude de cas – Quand les actes valent mille mots
De manière générale, la mise en situation ou l’étude de cas révèle ce qu’aucun CV ou discours bien préparé ne peut aisément démontrer, c’est à dire la capacité à performer dans des conditions proches de celle du poste.
Comment mettre en œuvre cette méthode ? Commencez par concevoir un scénario réaliste, idéalement inspiré de situations que le candidat pourrait rencontrer dans son futur rôle. Pour un Directeur Marketing, cela pourrait être l’élaboration d’une stratégie d’entrée sur un nouveau marché. Pour un Responsable RH, la gestion d’un conflit entre deux départements. Si vous ne voulez pas dévoiler d’informations stratégiques « réelles », n’hésitez pas à vous aider de l’IA, les LLM sont très forts pour rédiger des « cas » réalistes et détaillés.
Par ailleurs, vous pouvez adapter cette méthode à presque tous les profils en ajustant la complexité de la mise en situation ou du cas ainsi que le temps accordé. Pour un poste de direction, envoyer le cas et la documentation associée à l’avance permettra d’évaluer la profondeur d’analyse, la capacité de pensée critique et la qualité de la communication « maitrisée » du candidat. Pour un poste plus opérationnel, une mise en situation sans préparation préalable testera la gestion du stress, la réactivité et l’adaptabilité.
Bien qu’elle ait un caractère déstabilisant indéniable, il faut savoir que les candidats apprécient néanmoins bien souvent cette méthode. Elle sort du cadre parfois limitatif de l’entretien traditionnel, leur donne un aperçu concret de ce qui les attend et leur permet de démontrer leurs compétences en action plutôt que de simplement les affirmer et les « vendre » verbalement.
L’entretien semi-directif – L’art de la conversation guidée
« Le meilleur entretien que j’ai jamais mené ressemblait à une conversation passionnante » nous disait récemment une cliente.
Ce témoignage capture l’essence de l’entretien semi-directif, un savant équilibre entre structure et flexibilité. Vous disposez d’une trame, d’un fil conducteur, mais, en tant que recruteur, vous vous autorisez des détours et des approfondissements en fonction des réponses du candidat. Cette approche crée un espace où le candidat peut véritablement s’exprimer, révélant bien souvent des aspects de sa personnalité et de ses compétences qui seraient restés difficiles à percevoir dans un format plus rigide.
Comment réussir cet exercice d’équilibriste ? Comme pour l’entretien structuré, la préparation reste essentielle. Il ne s’agit d’être « freestyle » et de ne faire confiance qu’à son seul instinct. Structurez votre entretien autour de grandes thématiques plutôt que de questions spécifiques. Par exemple, explorez l’expérience du candidat en gestion d’équipe multiculturelles à travers une discussion ouverte plutôt que par une série de questions prédéfinies.
Il faut bien entendu maîtriser l’art des techniques de relance : la reformulation (« Si je comprends bien, vous avez… »), l’approfondissement (« Ca m’intéresse, pouvez-vous m’en dire plus sur… »), la demande de clarification (« Mais alors, comment cela s’est-il manifesté concrètement dans votre fonctionnement quotidien ? »).
Le piège principal de cette méthode ? La subjectivité peut facilement s’y inviter et on peut se laisser emporter par le « flow » de la discussion. Pour y remédier, utilisez toujours une grille d’évaluation avec des critères précis et objectivés et ce, même si la conversation prend des chemins imprévus.
Cette approche est particulièrement adaptée pour des postes nécessitant une forte intelligence émotionnelle, de la créativité ou une grande capacité d’adaptation – des qualités qui se révèlent globalement mieux dans une conversation fluide que dans un entretien ultra-structuré.
L’entretien collectif – Pour observer le fonctionnement au sein d’un groupe
La salle de réunion bourdonne d’énergie. Cinq candidats, réunis autour d’une table, planchent et échangent sur un sujet stratégique. Thomas, habituellement brillant en entretien individuel, reste étrangement en retrait et paraît peu à son aise dans le contradictoire. À l’inverse, Julie, plus discrète sur le papier, émerge naturellement comme un leader naturel, facilitant les échanges et synthétisant les idées avec une clarté remarquable.
Une telle scène illustre la valeur unique de l’entretien collectif : il révèle souvent des dynamiques insoupçonnées, très différentes de ce que l’on peut percevoir en tête-à-tête.
Comment ça marche concrètement ? Rassemblez plusieurs candidats, idéalement 4 à 6, et proposez-leur un exercice collaboratif ; résolution d’un problème, débat sur un sujet lié à votre secteur ou simulation d’une situation professionnelle typique. Votre rôle ? Observer attentivement les attitudes et comportements qui émergent naturellement ainsi que le fonctionnement des individus et les résultats du collectif dans son ensemble.
Cette méthode est particulièrement intéressante pour évaluer des candidats à des rôles fondés sur une forte interaction sociale (vente, management d’équipe, postes de coordination ou de gestion de projet..). Elle permet d’évaluer simultanément de nombreuses dimensions : la capacité à communiquer clairement et avec assertivité, à être dans l’écoute active, à influencer positivement et à être force de proposition, à gérer les désaccords de manière sereine et constructive.
Un conseil pratique : constituez une équipe d’observateurs, chacun se concentrant sur des aspects spécifiques (leadership, communication, résolution de problèmes, etc.) et utilisez une grille d’observation standardisée pour garantir une évaluation équitable.
Attention toutefois aux limites de cette approche. Les personnalités introverties, qui peuvent être extrêmement efficaces dans d’autres contextes, risquent d’être désavantagées. C’est pourquoi cette méthode doit toujours être complétée par d’autres formats d’évaluation.
Par ailleurs, si elle fonctionne bien pour des profils en première partie de carrière, elle est beaucoup plus difficile (voire impossible) à utiliser pour des profils de dirigeants qui auront tendance à la considérer comme infantilisante et incompatible avec la confidentialité absolue liée à leur démarche de candidature.
L’entretien de compatibilité culturelle – Quand les valeurs font la différence
« Techniquement, il était parfait. Expérience impeccable, compétences pointues, références excellentes. Pourtant, un an après plus, il était parti. Il n’a jamais vraiment trouvé sa place ni compris et intégré notre culture d’entreprise ». Cette situation, malheureusement très courante, illustre parfaitement pourquoi l’entretien de compatibilité culturelle est devenu très populaire. Selon les études, près de 80% des échecs de recrutement seraient en effet liés à cette question de « fit culturel ». Une personne peut être brillante et légitime dans son domaine, mais si ses valeurs et son style de travail sont trop en décalage avec ceux de l’organisation, les chances de succès à long terme sont minces.
Comment mener efficacement ce type d’entretien ? Commencez par une introspection organisationnelle. Quelles sont les valeurs réellement vécues (pas seulement affichées) dans votre entreprise ? Comment se prennent les décisions ? Quel est le rapport à la hiérarchie, au feedback, à l’échec, à l’éthique ? Une fois cette « cartographie culturelle » établie, vous pourrez concevoir des questions spécifiques fondées sur ce qui sont les éléments « non-négociables » de votre ADN, le reste étant « ouvert » afin de favoriser la diversité des perspectives et des approches.
L’entretien de compatibilité culturelle intervient généralement en fin de processus, lorsque les compétences techniques et l’expérience ont déjà été validées et il constitue ainsi l’étape décisive qui fait la différence entre les candidats shortlistés.
Quelques techniques et outils à connaître et maîtriser pour conduire vos entretiens
Les questions comportementales – Le passé comme prédicteur du futur
« Décrivez-moi un conflit marquant que vous avez dû gérer au sein de votre équipe ». Ce type de questions peut vous en apprendre davantage sur les capacités managériales d’un candidat que son CV tout entier. Pourquoi ? Parce que les comportements réels passés sont généralement les meilleurs prédicteurs des comportements futurs.
C’est le principe fondamental de la technique de l’entretien comportemental (ou Behavioral Interviewing) : plutôt que de demander au candidat comment il réagirait hypothétiquement dans une situation donnée, on l’invite à raconter dans le détail comment il a effectivement agi dans une situation similaire par le passé.
L’efficacité de cette approche repose sur la capacité du candidat à dépasser le discours théorique pour révéler ses expériences compétences et comportements réels, idéalement en structurant ses réponses avec le recours à une méthode comme CESAR.
Pour implémenter cette technique de questionnement, commencez par identifier les compétences critiques pour le poste. Pour chacune, formulez des questions comportementales spécifiques. Par exemple, pour évaluer la résilience : « Parlez-moi d’une situation dans laquelle vous avez rencontré un ou des échecs marquants. Comment vous êtes-vous comporté ? Qu’avez-vous ressenti ? Qu’avez-vous appris ? »…etc
Bien entendu, il convient d’être attentif non seulement au contenu du récit mais aussi à la manière dont il est présenté. Un candidat qui s’attribue tout le mérite d’un succès collectif ou qui blâme les autres ou « le marché » et « l’environnement » pour ses échecs révèle beaucoup sur sa personnalité.
Les questions inversées – Quand le candidat mène soudain l’entretien
« Avez-vous des questions pour terminer cet entretien ? » Cette phase classique de l’entretien est souvent traitée comme une simple formalité ou un passage obligé de peu de valeur. C’est une erreur. Transformée en « questions inversées » structurées, elle devient un puissant outil d’évaluation.
Les questions révèlent en effet la profondeur de réflexion et de préparation, la motivation, les priorités et les valeurs du candidat bien plus efficacement que de nombreuses réponses. Ses questions mettent en effet en lumière ce qui est vraiment important pour lui.
Comment exploiter pleinement cette technique ? Annoncez clairement au candidat qu’une partie significative de l’entretien sera consacrée à ses questions. Accordez-y un temps conséquent (20 minutes minimum) et encouragez-le explicitement à poser des questions substantielles.
Analysez ensuite les questions selon plusieurs dimensions :
- Préparation : Les questions démontrent-elles une recherche approfondie sur l’entreprise ?
- Profondeur : Vont-elles au-delà de l’information publiquement disponible ?
- Pertinence : Sont-elles alignées avec les enjeux clés du poste et de l’entreprise ?
- Vision : Révèlent-elles une réflexion à long terme ou uniquement des préoccupations immédiates, voire pratico-pratiques (RTT, tickets restaurants, modèle de la voiture de fonction..etc).
Cette technique présente un avantage supplémentaire : elle améliore singulièrement l’expérience du candidat en le rendant acteur de l’entretien plutôt que simple « objet d’évaluation » créant ainsi une dynamique plus équilibrée et positive.
Les questions axées sur les forces – Révéler le potentiel d’excellence
« Qu’est-ce qui vous passionne tellement dans votre travail que vous en perdez la notion du temps ? » Cette question, posé à un candidat peut révéler une passion ou une appétence insoupçonnée et précieuse pour l’entreprise.
Inspirée de la psychologie positive l’approche par les forces (Strengths-Based Interview) prend le parti de se concentrer sur l’exploration des points de force du candidat plutôt que sur ses faiblesses ou lacunes potentielles.
L’idée fondamentale est simple mais puissante : les personnes sont plus performantes, plus engagées et plus épanouies lorsqu’elles peuvent utiliser régulièrement leurs forces naturelles plutôt que travailler avec acharnement sur des zones de « faiblesse ». Un recrutement réussi consiste donc à aligner ces forces avec les besoins du poste. C’est un peu aussi une variante de la philosophie IKIGAI appliquée au recrutement.
Comment mettre en œuvre cette approche ? Utilisez des questions qui invitent le candidat à explorer ses moments d’excellence et de satisfaction profonde :
- « Racontez-moi une réalisation professionnelle dont vous êtes particulièrement fier. Qu’est-ce qui, selon-vous vous a permis de réussir ? »
- « Si vous pouviez consacrer plus de temps à certains aspects de votre travail, lesquels choisiriez-vous ? ».
Soyez attentif aux signes d’énergie et d’enthousiasme authentiques dans les réponses. Ces indices non verbaux sont souvent plus révélateurs que le contenu explicite des réponses. Cette méthode présente un avantage souvent négligé : elle crée aussi une expérience positive pour le candidat. En l’invitant à parler de ses succès et de ses passions, elle établit une dynamique constructive qui permet de l’observer sous son meilleur jour.
Les questions rapides – L’art de la synthèse en temps contraint
« Vous avez une minute pour conclure cet entretien de la manière qu’il vous plaira, en me partageant les points clés de votre candidature ». Ce type de consigne peut certes déstabiliser (ce n’est vraiment pas le but, sauf si le recruteur est un peu sadique) mais surtout permettre au candidat de montrer sa capacité à aller à l’essentiel sous contrainte de temps, ce qui est une compétence cruciale dans de nombreux environnements professionnels où les décisions doivent être prises et communiquées de manière quasi-instantanée, même sur la base d’informations limitées.
La technique des questions rapides peut être utilisée de deux façons : soit comme une technique de présélection rapide pour filtrer un grand nombre de candidats, soit comme un élément intégré à un entretien plus long pour évaluer spécifiquement la réactivité, la capacité de synthèse et la clarté d’expression.
Pour que cet exercice soit équitable, efficace et bienveillant, annoncez clairement la contrainte de temps comme faisant partie du jeu et respectez-la rigoureusement de la même manière pour tous les candidats.
Au terme de ce tour d’horizon à travers les méthodes et techniques d’entretien de recrutement, une vérité fondamentale émerge : le recrutement n’est pas une science exacte, mais bien un art qui doit s’appuyer sur des savoir-faire et méthodologies éprouvés mais constamment améliorés pour donner un résultat positif.
Prêt(e) à vous lancer ? À vous de jouer !