Les points essentiels à retenir de cet article
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Selon une étude datant de 2024, 1 CV sur 8 serait aujourd’hui (au moins partiellement) falsifié.
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Les outils technologiques et l’IA facilitent la création facile de profils « arrangés » ou carrément faux.
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La tension sur le marché de l’emploi incite souvent les entreprises à négliger les vérifications ou même à y renoncer.
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Pratiques des recruteurs quand une prise de références n’est pas possible : 50% poursuivent sans références, 30% s’arrêtent là, 15% font quand même des vérifications (illégales) et se mettent en risque.
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Les grands principes pour une vérification de qualité : transparence, pertinence, loyauté, respect RGPD et CNIL en suivant aussi la règle des 3C (Clarté, Constance, Conformité).
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Pour être réussie, la démarche de vérification doit être pensée comme un processus assumé, structuré, rapide et transparent.
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Conclusion : La vérification est atout stratégique face à la fraude et si elle est bien exécutée, elle peut même participer à renforcer l’image employeur.
Un autodidacte disposant d’une expérience professionnelle plus que chaotique se fait passer pour le diplômé d’une école prestigieuse et s’invente tout un passé professionnel afin d’être embauché comme dirigeant au sein une start-up prometteuse. Après avoir passé quelques années au sein de celle-ci, il est engagé comme cadre dirigeant au sein d’une très grande entreprise publique, jusqu’à ce que devant son incompétence notoire, quelqu’un fasse un jour des vérifications et que tout s’effondre.. Il sera d’ailleurs plus tard condamné pour des malversations au sein de la startup qu’il avait initialement rejointe.
Histoire improbable ? Et bien non, c’est un cas réel.
En fait, selon une étude datant de 2024, un CV sur huit comporterait un écart majeur entre la réalité et les informations présentées. Sur 50 000 CV analysés lors de cette étude, 1500 diplômes frauduleux ont par exemple été identifiés, soit un taux d’anomalie de 3%.
Il est globalement difficile d’établir si le phénomène de « fraude à l’embauche » gagne en ampleur par rapport au passé, mais plusieurs éléments semblent aller en ce sens.
L’ère du RGPD (qui tétanise nombre d’entreprises) combinée aux avancées de l’intelligence artificielle facilite en effet paradoxalement la création de candidatures très « améliorées », voire carrément de faux profils : textes et photos impeccables générés par IA, parcours professionnels fictifs fondés sur des éléments réels récupérés sur Internet, faux courriers de recommandation avec de vrais signataires.. les outils pour créer de toute pièce ou renforcer frauduleusement une identité professionnelle sont aujourd’hui très efficaces et accessibles à tous.
On le sait, le recrutement n’est pas une science exacte, loin s’en faut. Mais lorsque le mensonge ou la fraude s’ajoutent à l’équation, les conséquences peuvent être considérables : pour un poste de direction, une mauvaise embauche peut non seulement coûter cher à l’entreprise, mais aussi impacter la motivation des équipes et générer une perte de chance pour le business.
Un marché des talents qui peut parfois pousser à « baisser la garde »
Le marché des talents, notamment pour certains postes à haute responsabilité dans les secteurs de pointe, peut être tendu, voire extrêmement tendu. Les candidats qualifiés ont l’embarras du choix. Ralentir le processus de recrutement pour multiplier les vérifications est souvent jugé par les entreprises comme pouvant nuire à leur marque employeur. Elles y renoncent donc souvent.
Selon un sondage récent que nous avons effectué sur Linkedin, face à un candidat incapable (ou éventuellement non désireux) de fournir des contacts pour des prises de références, 50% des recruteurs s’en tiennent à leur seul jugement et continuent le processus, 30% considèrent cela comme un drapeau rouge éventuellement rédibithoire et environ 15% franchissent le rubicon en prenant des références « sauvages » sans en informer le candidat.
Le cadre légal, pilier d’une démarche de vérification conforme
Mais quoique ces employeurs qui prennent des références « sauvages » puissent penser, la vérification avant embauche n’est pas un espace de liberté pour les recruteurs. Le Code du travail (articles L 1221-6 à L 1221-9), le RGPD et la jurisprudence imposent un cadre strict qui nécessite d’être prudents et professionnels si on ne veut pas s’exposer à des risques juridiques, financiers et/ou réputationnels.
4 grands principes s’appliquent :
Principe | Obligations | Références juridiques |
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Transparence | Il est nécessaire d’informer clairement le candidat avant toute vérification en précisant la nature des contrôles (références, diplômes, casier, etc.) et les sources que l’on souhaite mobiliser (ex-employeur, école, prestataire). | C. trav. L 1221-6/8/9 |
Pertinence |
Les informations recherchées ou demandées doivent être pertinentes, c’est à dire directement liées à l’aptitude professionnelle ou aux compétences requises. Interdiction d’aborder des sujets “hors périmètre” (état de santé, vie privée, orientation, opinions). Ne pas exiger plus de justificatifs qu’un niveau de responsabilité comparable ne le nécessite (le principe de proportionnalité est important ). |
C. trav. L 1132-1 |
Loyauté |
Toute démarche doit être loyale et transparente : Aucune « référence sauvage » : pas de contact d’un tiers (ex-manager, police, détective privé) sans en avertir le candidat. La collecte d’informations à l’insu de l’intéressé peut être considérée comme déloyale et constituer un délit (Affaire Ikea France*). |
Cass. crim., 30 avr. 2024 |
Respect RGPD & CNIL |
Choisir entre consentement éclairé (solution la plus sûre) ou intérêt légitime (motivé, documenté, équilibré). Limiter la durée de détention des informations à ce qui est strictement nécessaire à la finalité (recommandation CNIL : 24 mois maximum après le dernier contact candidat). Mettre en place une purge ou anonymisation automatique régulière. |
RGPD art. 6 & 14 CNIL, Guide Recrutement 2023 |
*Entre 2009 et 2012, Ikea France a mis en place, via son service « Risk Management », un système généralisé de collecte d’informations sur ses salariés, candidats et clients : consultation illégale du fichier policier STIC, recoupements bancaires, surveillance d’activités syndicales, recours à un détective privé et à des policiers en fonction. L’entreprise ainsi que ses dirigeants ont été condamnés.
Alors, que faire ? Les 4 piliers d’un background check robuste
D’abord, il est important de préciser que, de notre point de vue, ce n’est pas parce que l’exercice est très strictement encadré qu’il faut renoncer à procéder à des vérifications. Cela reste un élément important de l’évaluation globale d’une candidature, notamment parce que, quoiqu’on en dise, le comportement passé reste souvent prédictif du comportement futur.
Cependant, la démarche de vérification doit désormais être pensée comme un processus à part entière. Celui-ci doit être assumé, structuré, rapide et transparent pour sécuriser le recruteur tout en préservant une expérience candidat positive.
Afin de professionnalisme la démarche, une charte de vérification pourra être formalisée afin d’être partagée en début de processus de recrutement avec les candidats. Celle-ci pourra reprendre une méthodologie structurée en quatre blocs, conforme à la fois au Code du travail et au RGPD :
1. Vérification des diplômes et certifications
Cette première étape porte sur des éléments aisément vérifiables :
- On peut demander le scan du diplôme/ou de la certification et l’accord explicite de la personne pour contacter l’établissement d’enseignement ou de formation concerné.
- A défaut, des prestataires spécialisés existent qui prennent en charge cette démarche et les solutions blockchain infalsifiables développées par diverses écoles et universités sont également d’un grand secours.
2. Contrôle du parcours professionnel
Cette phase consiste à valider la réalité des expériences professionnelles. Ici encore, on peut demander des documents au candidat (certificats de travail par exemple) et l’informer que l’on est susceptible de contacter différents organismes afin de les vérifier et notamment les services RH des entreprises citées.
A défaut de pouvoir les effectuer soi-même, des prestataires spécialisés existent aussi qui se chargent de ce type de contrôles.
3. Prise de références encadrée
C’est souvent l’étape la plus délicate, qui doit suivre un protocole strict :
- Rédaction d’une demande écrite au candidat afin d’obtenir ou de faire valider par ses soins une liste de référents potentiels, idéalement sélectionnés parmi des contacts récents afin de garantir la pertinence et la validité des éléments recueillis.
- Application d’un script d’entretien structuré et centré sur des dimensions strictement professionnelles en lien avec les attendus du poste à pourvoir.
- Garantie de confidentialité des informations recueillies
- Respect de la durée de conservation limitée à 24 mois
4. Analyse de la réputation digitale
Cette dernière étape très sensible doit être particulièrement encadrée et effectuée en toute transparence vis à vis du candidat afin de lui doter l’opportunité d’apporter « sa version » par rapport aux éléments recueillis.
- Ce qui est permis : Recherche Google simple, Consultation des pages de réseaux sociaux professionnels accessibles publiquement.
- Ce qui doit impérativement être évité : Fausses invitations LinkedIn, Collecte de données sensibles et/ou strictement personnelles..etc.
Au total, toute stratégie de vérification avant embauche devrait s’articuler autour de trois principes fondamentaux que l’on appelle les « 3C » :
- Clarté : un processus transparent qui renforce la marque employeur au lieu de la fragiliser,
- Constance : une application systématique qui évite toute discrimination ou traitement différencié,
- Conformité : un respect scrupuleux du RGPD et du Code du travail.
En adoptant cette approche, la vérification avant embauche n’est plus un exercice un peu honteux synonyme de méfiance et de « flicage », mais elle peut devenir un atout stratégique qui renforce la crédibilité et l’image de professionnalisme, de transparence et d’équité de l’entreprise auprès des candidats de qualité.
Conclusion
Face au développement de la fraude documentaire, la vérification avant embauche (re)devient une nécessité, en particulier pour les recrutement stratégiques, à la condition de professionnaliser la démarche et ce, dans un double objectif : respecter le cadre légal et optimiser l’expérience candidat.
Les entreprises qui sauront intégrer harmonieusement ces pratiques dans leur processus de recrutement disposeront sans aucun doute d’un avantage concurrentiel significatif.